Passion Fixe - Philippe Sollers

Publié le par Pattes

On parle toujours trop, même en ne disant rien, le silence à deux est un art.

Pour savoir où on en est avec quelqu'un, il suffit d'écouter de la musique ensemble. Le moindre désaccord nerveux vient faire tache dans les intervalles, mais si le son passe sans rencontrer personne, c'est le signe que tout va bien.

J'en reviens au fait de marcher dehors à côté de quelqu'un : tu peux faire une analyse morale et psychique exacte de quelqu'un en question rien qu'à sentir comment son corps réagit à distance au tien. S'il y a un infime désaccord harmonique, une résistance sourde presque imperceptible, la fausse note de la double allure, ton opinion est faite ; il y a un défaut chez l'autre, plus qu'un défaut, la preuve d'un malentendu définitif qui sera révélé tôt ou tard.

Les affaires de désir ont lieu dans le nez : buée, fumée, rosée, ondes, particules, répulsions ou attractions invisibles, odeurs en creux, narines et limailles de l'air.

Une autre fois, on est au Café de la Paix, on mange des glaces à la fraise, c'est l'été. On marche main dans la main dans les Tuileries, c'est un soir très chaud, César court autour de nous, va sentir les chiennes, revient, se couche haletant dans l'herbe. J'entends le rire de Dora sur le Champ-de-Mars, il couvre les allées, un rire de joie démente, mais il n'y a que moi pour l'entendre. Pourquoi ces scènes-là, et pas d'autres. Beaucoup de pourquoi au malheur, pas de pourquoi au bonheur.

Le bonheur sur fond noir, je ne me lasserai jamais d'en parler, je suis un fanatique de cette affaire.

Sera heureux celui ou celle pour qui tout est très important et, en même temps, sans aucune importance.

Une femme qui tolère votre sommeil fait plus que vous aimer, elle vous pardonne d'exister. Sa respiration à côté de vous dit tout, c'est par elle que vous êtes oui ou non absous.

J'écris en français, un certain français devait diparaître, je n'ai pas disparu, je continue, ce n'est plus le même pays, et pourtant c'est le même. Effacé, foutu, et pourtant splendide, tout neuf. N'agonise plus, meurs et deviens, on t'aime.

J'allais là le matin, je regardais la mer figée du zinc, je buvais beaucoup d'eau, j'écrivais quelques pages d'un roman improbable. À quoi bon raconter aux autres ce qu'ils ne vivent pas et ne sentent pas, puisqu'ils croiront qu'on ne l'a fait que pour les embêter ou les humilier ?



Frodon, c'est bien aussi, la preuve :



Publié dans ¡ Prépa pawaaa !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article